• Chlorophile

    chlorophile

     

    Mon contrat avec Elenya Editions étant terminé, je peux enfin mettre cette nouvelle que j'avais fait lors de leur concours. Le principe: écrire une nouvelle en 24h dans un univers steampunk avec une contrainte (et pas des moindres !) : une créature légendaire récitant une formule ou opérant un rituel magique.

    Voilà donc ma petite participation, n'hésitez pas à donner votre avis.

     

     

    Chlorophile

     

     

     

    La voiture produisait un tintamarre assourdissant. Les engrenages du moteur s’entrechoquant provoquaient une mélodie monotone, entrecoupée de temps à autre par le sifflement de la vapeur qui s’échappait des soupapes. Je somnolais, bercé par ces sons si réguliers. Dans quelques heures, j’atteindrais la ville souterraine et pourrais étudier ma précieuse découverte. En attendant je rêvais d’elle. Était-elle à son aise dans la boîte que j’avais spécialement conçue à son attention ? Souffrait-elle de la chaleur infernale de la surface ? Avait-elle besoin d’eau ? Avait-elle besoin d’air ? Avait-elle besoin de moi ?

    Je souris en songeant aux soins que je pourrais lui apporter. À son rétablissement futur. Sa résurrection. Sa prolifération.

     

    L’obscurité envahit ma cabine et m’informa, avant même que mon chauffeur ne le fasse, que nous venions de passer sous terre.

    Plus nous nous y enfoncions et plus la température devenait raisonnable et l’air moins toxique. Les murmures de la ville s’ajoutèrent alors à la mélodie mécanique, puis d’autres machines vinrent compléter l’orchestre.

     

    Quelques minutes plus tard, la portière s’ouvrit et la lumière artificielle m’inonda.

    — Avez-vous fait bon voyage Monsieur Tatch ? Me demanda mon chauffeur.

    — Excellent. Merci.

     

    L’homme réajusta un boulon sur son visage et sa bouche mécanique esquissa un sourire. Les prothèses faciales étaient de plus en plus courantes ces derniers temps. Les corps se mouraient de plus en plus et les mécaniciens étaient légion pour les réparer.

     

    Je récupérai mon précieux chargement dans le coffre et rentrai le plus rapidement possible chez moi. Je sentais la vie pulser sous mes doigts à travers les parois de métal. Elle semblait se nourrir de moi. De mon énergie. J’avais si hâte de l’en sortir et de l’admirer. D’en prendre soin.

     

    Débarrassant mon plan de travail, j’y posai délicatement la boîte et sortis ma précieuse découverte d’une main fébrile. Je n’osai la toucher. Laisser ma peau souiller par son contact ses feuilles malades et légèrement racornies. J’enfilai rapidement un gant sur ma main de chair, et passai un coup de chiffon sur l’autre, mécanique.

     

    La plante était là. Son existence était si rare. Si magnifique.

     

    Les légendes racontent que la terre était recouverte de végétaux, il y a des centaines d’années. Que nos ancêtres respiraient l’air sans le filtrer et buvaient l’eau sans s’empoisonner. Que leurs corps n’avaient pas besoin de machines pour fonctionner et que nous ne ranimions pas nos nouveau-nés lorsqu’ils sortaient du ventre de leur mère.

    Elles parlent de créatures monstrueuses qui menaçaient notre peuple. Des élémentaires, selon les écrits. Que lorsque notre empereur acheva le dernier d’entre eux, celui-ci lança un terrible sort. Un sort que jamais personne n’a oublié et qui nous a tous condamnés. Il disait :

     

    « Pourrisse la terre,

    Pourrisse l’eau, pourrisse l’air,

    Et que brûle toute la surface,

    Pourrisse ce monde, que meure toute race. »

     

    Et le monde se mit alors à mourir lentement sans qu’on puisse inverser cette malédiction.

     

    À présent, les enfants se voient greffer leur première prothèse avant même d’atteindre deux ans, les dragons dépérissent, et je ne parle pas des sirènes au bord de l’extinction. Mais la plus rare des formes de vie était en face de moi. Une plante.

     

    Je n’en avais vu que dans les livres d’histoire et ne pensais jamais en contempler une réellement. C’était la chose la plus merveilleuse que j’avais vue et j’en étais tombé amoureux en la découvrant dans ce vieux bouquin jaunis. Dès lors j’avais parcouru le monde afin d’en trouver. On dit qu’elles nourrissaient nos ancêtres et purifiaient l’air. Que leur disparition entraîna de grandes famines et le début des Grandes Crises de Suffocation. Si cette plante survivait, je pourrais peut-être faire renaître l’espèce !

     

    Je m’empressai de lui apporter de l’eau. Une eau pure, filtrée, pour ses feuilles toutes desséchées. Je l’arrosai juste un peu, pour qu’elle se réhabitue progressivement. Pour qu’elle revienne à la vie.

    Ma précieuse plante.

    Je la dévorais des yeux, suivais chacune de ses courbes et mourais d’envie de la toucher. Ne serait-ce que du bout des doigts. De la caresser.

     

    Les jours passèrent lentement. Elle prenait une belle couleur vert sombre, trempée dans un mélange de minéraux que je renouvelais chaque matin. Au bout de sa tige, un énorme bulbe s’était formé. Quelle merveille renfermait-il ?

     

    Je ne cessais de la dessiner, de l’observer, de tenter de surprendre l’instant fugace où elle se tournait vers la source de lumière que je lui fournissais. Je ne sortais plus que pour me ravitailler ou remonter les articulations de mon bras mécanique. Heureusement pour moi, mon corps était plutôt résistant et seul un membre et mes poumons bénéficiaient d’une prothèse. De temps à autre, je sentais mon cœur tressauter de manière étrange, mais le médecin me donnait encore quelques années avant de le remplacer. J’avais donc du temps pour amasser assez d’argent afin de payer cette future opération. Argent que je dilapidais à présent pour alimenter ma nouvelle raison de vivre. Ma plante. Cet être qui colorait mes rêves d’un vert éclatant.

    Plus le temps avançait et plus elle grandissait en produisant de nouvelles feuilles. Je pouvais me vanter d’être doué en voyant le bulbe en son extrémité grossir et mûrir. Prêt à exploser. Prêt à libérer ce que les livres appelaient des « fleurs ». J’étais tellement impatient que j’en vins à ne plus bouger de mon poste d’observation, sacrifiant mon sommeil et mes repas. Je maigrissais à vue d’œil, selon les commerçants qui s’étonnaient à chaque fois que je venais acheter mes précieux minéraux. Plus je m’affaiblissais, plus ma formidable plante s’épanouissait.

     

    Lorsqu’enfin le bulbe s’ouvrit, je fus tellement submergé par l’émotion que je me mis à sangloter en admirant la plus belle chose au monde qui me fut donnée de voir apparaître. Qui aurait pu deviner qu’un être aussi miraculeux pouvait encore me réserver une surprise si magnifique ?

     

    Ses pétales rouge et or mouchetés de bleu s’étendaient délicatement de part et d’autre d’un cœur semblable à un doux soleil orangé. Elle semblait si fragile !

     

    Une merveilleuse odeur parvint à mes narines alors que je me vidais de toutes les larmes de mon corps. J’étais heureux ! Si heureux !

     

    Mes doigts mécaniques pouvaient à peine bouger. J’avais oublié mes rendez-vous chez le mécanicien. Je tendis alors mon autre main pour la caresser et me rendis compte trop tard que j’avais oublié de mettre un gant.

    Le contact me retourna entièrement. Elle était si douce. Oh comme j’étais heureux ! Ma chère plante !

    Je t’imagine par centaines, par milliers, recouvrant la ville entière, puis les terres arides de la surface. Je t’imagine nous redonner vie comme je l’ai fait pour toi. Je t’imagine telle une déesse nous sauvant de cet horrible sort. Ma merveilleuse plante !

     

    Une violente douleur partit du bout de mes doigts et me paralysa le bras. Que se passait-il ?

    Une poudre dorée s’était posée sur ma peau à l’endroit où j’avais touché la fleur. L’avais-je abîmée ? Ma tendre plante.

     

    Mon cœur bondit dans ma poitrine et se serra brusquement. Je m’écroulai sur le sol sans comprendre ce qu’il se passait.

     

    Ou peut être que je ne voulais pas admettre l’évidence.

     

    Ma plante. Ma magnifique et miraculeuse plante m’avait empoisonnée d’un simple contact. Oui, d’un simple contact.

     

    Ma plante. Ma douce. Je n’aurais jamais dû te toucher. Tout est de ma faute. Je me suis laissé emporter et j’ai commis l’irréparable.

     

    Qui va s’occuper de toi maintenant que mon corps tout entier se convulse ? Qui va te nourrir ? Qui va t’arroser ? Qui va te couvrir de son regard tendre ?

     

    Oh ma précieuse plante.

     

    Pardonne- moi.

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 12 Juin 2015 à 15:18

    Chlorophile, en effet OwO
    J'adore c'est glauque, malsain et en même temps si poétique et si romantique !!
    Je trouve que tu manies trop bien les mots ! >w<

    2
    Vendredi 12 Juin 2015 à 15:25

    Aw merciiii >w< ça fait super plaisir ! 

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